[dropcap]L[/dropcap]es sections millavoise et ruthénoise de la Ligue des Droits de l’Homme interpellent les politiques locaux sur la généralisation de l’utilisation du passe sanitaire. Cette lettre ouverte est envoyée aux parlementaires de l’Aveyron, au président du conseil départemental, à la conseillère régionale et aux maires de Millau et Rodez.
Lettre ouverte aux politiques locaux à propos du passe sanitaire
« Madame, Monsieur.
Il ne peut être question de nier l’évidence d’une pandémie d’une exceptionnelle gravité. Mais, la gestion autoritaire et erratique de la crise, par ses contradictions perpétuelles et sa brutalité, a des conséquences réelles pour notre vie quotidienne, individuellement et collectivement, créant beaucoup de discriminations et de dégâts collatéraux difficiles à mesurer.
Malik Salemkour, président de la LDH, tout en reconnaissant que l’équilibre est bien délicat à trouver entre les obligations de santé publique et le respect des libertés individuelles, précisait dans sa tribune du 19 juillet que « des lignes rouges étaient à poser sur l’usage du passe sanitaire dans la vie courante et qu’il n’est pas anodin de transférer à des acteurs privés des prérogatives qui jusqu’alors étaient dévolues à des pouvoirs publics ».
Le 22 juillet, le Comité Central de la Ligue des Droits de l’Homme prend officiellement position en estimant que le passe sanitaire est « un mauvais coup et que sa généralisation présente tous les risques d’un système illisible, contradictoire et susceptible de provoquer plus de tensions que de bénéfices sanitaires alors qu’en même temps il porte lourdement atteinte aux libertés individuelles…/… En faisant primer la contrainte sans même s’être assuré de la capacité de vacciner à marche forcée la totalité ou presque de la population, le gouvernement renonce à toute pédagogie et inverse les priorités. Ce seront, une nouvelle fois, les plus fragiles qui en supporteront les conséquences, notamment en raison de la suppression annoncée de la gratuité des tests PCR…/… La Ligue des Droits de l’Homme déplore que dans le domaine si précieux de la protection de la vie, le gouvernement ait adopté la voie d’un autoritarisme qui est devenu sa marque de fabrique ».
Le 5 août nous avons pris connaissance de l’avis tant attendu du Conseil Constitutionnel. Sauf quelques exceptions (la possibilité de rupture de contrat de travail et le placement en isolement en cas de covid) toute la loi relative à la gestion de la crise sanitaire a été jugée conforme à la constitution. Ce feu vert est principalement autorisé par l’Etat d’Urgence Sanitaire qui élargit à nouveau le pouvoir de l’exécutif jusqu’au 31 octobre 2021 !
La Ligue des Droits de l’Homme, dans ses prises de positions et ses actions, se veut vigilante mais pragmatique car la crise sanitaire est un fait objectif. Les lois et les dispositions de sécurité sanitaire mettent à mal les libertés. Il faut cependant raison garder. Si les manifestations contre le passe sanitaire expriment de légitimes inquiétudes il est primordial de se garder des amalgames et des dérives extrémistes qui sont plus dangereuses qu’un virus pour la démocratie.
Les citoyens membres de la Ligue des Droits de l’Homme s’interrogent avec beaucoup d’autres depuis le début de la crise sanitaire, et s’inquiètent de la surenchère des contraintes et des contrôles qui compliquent ou entravent les actes les plus banals de la vie quotidienne. Le passe sanitaire est venu multiplier les contraintes de façon inédite, discriminante et très coercitive. Son utilisation peut trouver quelques justifications dans des cas bien précis, mais sa généralisation reste incompréhensible, particulièrement pour les activités de plein air. De plus les chiffres montrent que si le passe diminue le risque de circulation de la contagion, il est loin d’apporter une garantie à 100 % et n’autorise nullement à se passer des gestes barrières.
Aujourd’hui les sections millavoises et ruthénoises de la Ligue des Droits de l’Homme souhaitent interroger les élus locaux pour connaitre leurs positions. L’avis de la Défenseure des Droits, Claire Hedon, rendu public le 20 juillet sera notre fil conducteur :
• Nécessité du débat démocratique : les procédures accélérées autorisées par l’Etat d’Urgence sanitaire ont escamoté le débat démocratique. Où en est-on ? Quelle est la marge de manœuvre actuelle des parlementaires ?
• Intelligibilité du texte : Le découpage en zone accessibles et zones non accessibles, le contrôle de certificats médicaux par des personnes privées mettent à mal les principes de liberté de circulation et d’anonymat constitutifs du pacte républicain. Certaines parties du texte donnent lieu à des interprétations inégalitaires et incompréhensibles. Que faire pour soutenir et éclairer la population ?
• Restrictions d’accès aux transports publics et aux biens et services : les contrôles incessants entravent la vie quotidienne de toute la population. Compte tenu de sa difficulté d’application et des nombreuses entorses au règlement (volontaires ou non) constatées un peu partout, les mesures vous paraissent-elles adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique poursuivi ? Quel dispositif est mis en place pour aider les personnes qui ne sont pas encore « à jour », comme par exemple, les jeunes et/ou les précaires qui n’ont pas encore eu accès à la vaccination ? Que pensez-vous du déremboursement programmé des tests PCR ?
• Contrôle d’une partie de la population par une autre : Cette situation est inédite. Ne pensez-vous pas que le contrôle devrait relever des pouvoirs publics ? Et qu’il est très lourd de conséquences d’avoir transféré cette obligation au secteur privé ?
• Risque de discrimination dans l’emploi : le passe sanitaire est généralisé pour le public depuis des semaines, mais son obligation a été repoussée au 30 août pour les employés recevant ce même public ! On comprend bien que cela a permis de différer le problème pour certains employeurs durant l’été, mais où est la cohérence ? Que se passera-t-il après le 30 août ?
• Atteinte aux droits de l’enfant : l’accès aux loisirs et à la culture des mineurs et jeunes majeurs est largement perturbé par l’obligation du passe sanitaire. Il s’agit pourtant d’un droit fondamental essentiel au développement de la jeunesse. Une telle atteinte aux droits de l’enfant est-elle proportionnée au but sanitaire poursuivi ? D’autre part comment se passera la rentrée scolaire ? Que pensez-vous du code couleur prévoyant quatre protocoles différents en fonction de l’état sanitaire des territoires et de « l’éviction » des enfants non vaccinés s’ils sont cas contact ? Et dans le même temps, qu’en sera-t-il pour les enseignants qui eux ne sont pas soumis au passe sanitaire ?
• Situation des plus précaires : la carte des plus faibles vaccinations recoupe celle de la pauvreté, de la fracture numérique, de l’accès aux services publics. Les nouvelles mesures comportent le risque d’être à la fois plus dures pour les publics précaires et d’engendrer ou accroitre de nouvelles inégalités. Qu’en pensez-vous ?
• Risques liés au traitement des données : Le texte de loi induit un risque de glissement vers des pratiques de surveillance sociale générale. Qu’en pensez-vous ?
Vos administrés ont besoin de savoir comment vous réagissez et répondez aux nombreuses interrogations qui se posent.
Sincères salutations ».
Les sections LDH de Millau et de Rodez
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