[dropcap]L[/dropcap]’assassin ne fut pas difficile à retrouver, il s’agit d’un jeune homme originaire de La Cavalerie sur le Larzac. Cet individu s’était fixé depuis quelque temps dans le village et avait plusieurs fois manifesté une vive animosité contre le curé. C’est au moment où l’abbé Puech sortait de son presbytère pour se rendre au jardin, qu’un coup de fusil parti d’une fenêtre voisine le frappa au cœur et l’étendit raide mort sans que la pauvre victime eu le temps de réagir.
M. l’abbé Challiès, son vicaire, accourut en toute hâte et put lui donner une dernière absolution. Le meurtrier, qui avait, dit-on, donné des signes d’aliénation mentale fut arrêté immédiatement. En apprenant cette nouvelle, Mgr l’évêque s’est transporté à Saint Chély pour porter ses consolations à la paroisse qui pleure un pasteur qu’elle aimait et vénérait (D’après la Revue religieuse du diocèse de Rodez, 4 février 1876).
Portrait de l’assassin
L’accusé se nomme Isidore Camille Cadillac, il est âgé d’environ 28 ans ; c’est un ancien militaire, homme de taille moyenne et qui a été amputé du bras gauche pendant la guerre de 1870 contre une armée prussienne bien mieux armée que la nôtre. Lorsqu’il fit la guerre, il n’avait que vingt ans, et à cet âge, c’est une infirmité difficile à accepter, même si la nation reconnaissante l’a renvoyé chez ses parents, à la Cavalerie sur le Larzac, avec une pension de 700 francs à la clef.
Dans le village de La Cavalerie, d’où il est originaire, il erre, désœuvré, et soucieux, repense à ce qui était avant le conflit. Deux ans avant cette satanée guerre, il prétend avoir connu, une jeune fille, Melle Rosalie Puech, fille d’un brigadier de gendarmerie. Pendant qu’elle habitait ce village ; il aurait conçu une vive affection pour elle, qui, assure-t-il, lui aurait permis d’aspirer à sa main.
Melle Puech, qui était presque enfant à cette époque, quitta la Cavalerie, et Camille Cadillac la perdit entièrement de vue. Cette jeune fille dont le père vient d’être muté hors du département de l’Aveyron, est confiée aux bons soins de l’un de ses frères, Antoine-Marie Puech, qui a en charge la paroisse de Saint-Chély d’Aubrac. Originaire de Villecomtal, cet ancien curé de Prades d’Aubrac avait été affecté à la cure de Saint Chély en 1870.
De La Cavalerie aux Monts d’Aubrac
A La Cavalerie, Cadillac s’inquiète de la disparition de Rosalie. Amoureux fou, il ne peut vivre sans la voir. Il se renseigne et prend connaissance de sa nouvelle résidence. Sa petite pension de 700 francs lui permet de quitter ses parents. Le voici donc à Saint-Chély où il trouve une chambre à louer à l’auberge Mas, située en haut de la rue du Pont des Pèlerins, face au presbytère, donnant directement sur le jardin de celui-ci.
Déterminé, il aborde Rosalie Puech, elle le repousse. Il lui écrit, elle ne lui répond pas. Ne se décourageant pas, il demande la belle en mariage. M. le curé et le père de cette demoiselle ne crurent devoir faire une réponse favorable à une demande qui leur était faite par un homme qu’ils ne connaissaient pas ; il revint à la charge avec obstination malgré les observations et les menaces qui lui furent faites. Malgré les refus catégoriques des parents et de la jeune fille elle-même, il continua à s’obstiner dans ses prétentions ; lui qui avait quitté La Cavalerie pour les monts d’Aubrac, poursuivit ainsi de ses obsessions l’honorable curé.
L’accusé avoua même qu’il se livra à des actes d’excentricité qui, dit-il, avaient pour but d’ennuyer le curé. Ce dernier avait cherché à écarter du village ce prétendant ennuyeux ; la gendarmerie avait, à deux reprises, arrêté Cadillac qui faisait tout pour se faire remarquer. Malgré cela il restait à St-Chély.
Dépité de se voir rejeté, Cadillac décide de se venger. Il achète une vieille arme à feu d’occasion à Espalion, et le 2 février 1876, après une dernière sommation adressée à l’abbé Puech, au moment où ce digne ecclésiastique allait de son presbytère à son jardin, Cadillac, qui épiait tous ses mouvements de derrière la fenêtre de sa chambre, saisit son fusil, monte sur son lit, passe son arme par une lucarne dont il avait enlevé la vitre depuis quelques jours, ajuste le curé qui lui tournait le dos et fait feu sur lui à une distance de 15 à 16 pas. La balle frappe M. Puech dans le dos, traverse le cœur et ressort par le devant de la poitrine. M. le curé s’affaisse en disant : « Je suis mort », et il expire. Les cloches venaient de sonner Midi.
Arrestation et condamnation
Camille Cadillac, après avoir caché son arme, se rendit à la gendarmerie en évitant de passer par les rues, où la foule s’amassait. Il fut très vite interrogé sur les motifs de cette action. Il s’exprimera de nouveau, mais cette fois devant la cour d’assises de l’Aveyron, présidée par M. de Gonet, conseiller à la Cour d’appel de Montpellier :
Cadillac prétend qu’il était exaspéré par les ennuis que lui suscitait M. le curé et que les sociétés secrètes sont cause de tout cela. Ce dernier système, qui ne s’était pas produit dans l’instruction, parait imaginé à plaisir. On procède ensuite à l’audition des témoins : Melle Puech affirme qu’elle n’avait jamais vu l’accusé avant qu’il vînt s’établir à Saint Chély. D’autres témoins rapportent quelques actes bizarres de l’accusé. Ces indications, quoique vagues, engagent le défenseur de Cadillac à demander la remise de l’affaire à une prochaine session, afin que dans l’intervalle, l’accusé soit examiné par des hommes de l’art, qui apprécieront s’il est atteint d’aliénation mentale, ou si, au contraire, malgré quelques bizarreries de caractère il n’a pas la pleine conscience de ses actes. La Cour, faisant droit à la demande du défenseur, a ordonné le renvoi de l’affaire à une autre session. M. Monsservin, procureur de la République, occupait le siège du Ministère public ; Me Cassan, avocat, était assis au banc de la défense. (Journal de l’Aveyron, repris dans Revue religieuse du diocèse de Rodez, 9 juin 1876).
A la demande de Maître Cassan, son avocat, l’affaire fut renvoyée à la session du mois de décembre, le temps que « les hommes de l’art » fassent leur travail d’analyse.
MM. les docteurs Bonnefous, Fauché et Lala ont étudié le profil de Cadillac et ils viennent devant la Cour d’assises de l’Aveyron, en ce début de mois de décembre 1876 faire connaître les conclusions auxquelles les a emmenée cette étude. Tous trois sont unanimes à déclarer que Cadillac atteint d’aliénation mentale est incapable de présenter sa défense.
Après la déposition des docteurs, la cour, sur les conclusions conformes du ministère public et malgré la demande du défenseur qui voudrait que l’on passât outre aux débats, ordonna qu’il soit sursis au jugement de l’affaire jusqu’à ce qu’il sera établi que Cadillac est en état de se défendre. En conséquence de cet arrêt, Cadillac sera, par les soins de l’autorité administrative, enfermé dans un asile d’aliénés, et si, plus tard, il recouvre la raison, il sera de nouveau traduit devant les assises pour répondre de son crime. La revue religieuse qui suit de très près cette affaire depuis le début fait part de ces quelques lignes suite à ce verdict :
Ce n’est pas sans un vrai sentiment de douleur que cette malheureuse affaire a rappelé à la mémoire de tous, le souvenir de quatre curés du diocèse de Rodez qui ont été assassinés dans l’espace de ces derniers quarante ans. Aucun des assassins n’a pu être puni par la justice des hommes. (Revue religieuse du diocèse de Rodez, 15 décembre 1876).
Enfermé dans l’asile des aliénés de Paraire, à Rodez, il fut soumis à un examen attentif de l’un des docteurs, M. Faucher, directeur, et celui-ci s’aperçut bientôt que l’accusé n’était pas fou. Il dut le faire sortir de l’établissement. Ramené en prison, il fut de nouveau soumis à l’examen des médecins qui l’avaient d’abord étudié et ceux-ci formulèrent une nouvelle appréciation.
Deux d’entre eux, MM. Faucher et Lala, déclarèrent qu’ils avaient été trompés, que Cadillac n’avait jamais été fou et ne l’était pas ; le troisième, M. Bonnefous prétendit que l’accusé avait été bien réellement fou au moment du crime et lors du premier examen, mais qu’il était maintenant guéri ou à peu près guéri.
C’est dans ces conditions que l’affaire revient deux ans plus tard devant la justice.
Le samedi 7 septembre 1878, s’est terminée devant la cour d’assises de l’Aveyron, la cause si douloureuse de l’assassinat du curé Puech de Saint-Chély. Echappant de peu à la peine capitale, bien que le procureur ait demandé sa tête, il fut condamné à 20 ans de travaux forcés. Voici en quelques lignes les propos tenus à ce sujet dans le Journal de l’Aveyron :
Cadillac, après avoir prétendu dans ses premiers interrogatoires qu’il avait tiré sur le curé pour se venger des tracasseries dont il était l’objet de sa part, et notamment des grimaces qui lui avait fait le jour du crime, soutient aujourd’hui que voyant le curé lui faire des grimaces, il saisit son fusil, le brandit d’un air menaçant et qu’à ce moment l’arme partit par accident et alla frapper la malheureuse victime. Après de longs débats, qui ont principalement porté sur l’état mental de l’accusé, le jury a rapporté un verdict affirmatif sur les questions qui ici étaient posées, en admettant toutefois des circonstances atténuantes. Cadillac a été condamné, en conséquence de ce verdict, à vingt années de travaux forcés. M. P. M. Monsservin, D. Me Maisonabe. (Journal de l’Aveyron, repris dans la Revue religieuse du diocèse de Rodez, 13 septembre 1878).
Marc Parguel