[dropcap]L[/dropcap]e ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien Denormandie, était en visite dans l’Aveyron le 24 septembre 2021.
Deux paysans de la Confédération Paysanne Aveyron, Sébastien Persec et Alexandre Vialettes, avaient participé à la table ronde, où une trentaine de personnes étaient présentes : préfète, députés, sénateurs, élus du Conseil Départemental, représentants de la Chambre d’Agriculture et des syndicats agricoles, etc.
Le ministre avait cité Edgard Pisani, ancien ministre de l’Agriculture, qui avait dit devant l’Assemblée nationale, au début de sa carrière : « Si un jour le consommateur demande des pommes carrées et du lait rouge, on demandera à l’INRA de produire des pommes carrées et du lait rouge. »
« Cela nous est apparu comme une provocation, nous faisant notamment fortement penser aux OGM », commentent les responsables de la Conf’.
En réponse, la Confédération Paysanne de l’Aveyron a décidé d’envoyer au ministre le livre « Un vieil homme et la Terre », également écrit par Edgard Pisani, mais à la fin de sa carrière, où il explique que l’agriculture productiviste qu’il a défendue n’est plus de mise.
Vendredi 14 janvier, ils l’ont envoyé au ministre, accompagné d’une lettre ouverte que nous reproduisons ici. Ils ont profité de cette lettre pour répondre à la conférence de rentrée du ministre.
Monsieur le Ministre,
Nous avons suivi avec attention votre discours de rentrée du 4 janvier 2022. Vous maîtrisez l’art de réutiliser le vocabulaire en détournant le sens afin de donner l’illusion d’une évolution, sans rompre avec les recettes passées et les politiques agricoles actuelles, pour ne finalement rien changer aux pratiques en place. Nous ne sommes pas dupes, vous défendez une agriculture industrielle et financiarisée.
Pourtant, votre parcours de formation laisserait à penser que vous avez les capacités de comprendre l’urgence dans laquelle nous nous trouvons. Monsieur le Ministre, dans un contexte de changement climatique, d’érosion massive de la biodiversité et de globalisation qui crée des fragilités systémiques vertigineuses (pic pétrolier, pandémies, crises financières…) comment pouvez-vous nier la nécessité de repenser en profondeur nos systèmes agricoles et alimentaires ?
Pour commencer, nous vous rappelons que la souveraineté alimentaire désigne le droit des populations et de leur État à définir leur politique agricole et alimentaire sans dumping vis-à-vis des pays tiers. Il ne s’agit pas d’une « souveraineté agro-alimentaire » comme vous la désignez, ni d’un moyen détourné d’exporter nos surplus, à des prix rendus compétitifs grâce aux subventions de la Politique Agricole Commune (PAC).
Une alternative à l’actuelle politique commerciale européenne existe. Elle repose sur la rupture des accords bilatéraux de libre-échange qui font disparaître les paysans à travers le monde face à l’injonction de compétitivité généralisée et laisse la place à des agri-managers que vous nommez :« Entrepreneurs du vivant ». Elle consiste également à l’adoption de normes sociales et environnementales universelles ambitieuses et contraignantes au niveau européen et international, afin de s’assurer du respect des droits humains et de l’environnement par les entreprises multinationales.
Vous abordez ensuite le gel du printemps 2021 et plus largement les aléas climatiques. Pour permettre aux paysans de faire face à ces aléas, l’indemnisation des dégâts et le soutien aux investissements « pertinents pour gérer les risques » sont essentiels, mais cela ne suffira pas. En effet, améliorer la résilience de l’agriculture repose sur un ensemble de changements, d’ordre systémique, dans les politiques publiques, notamment :
– L’accompagnement à la transition des fermes vers des systèmes agroécologiques plus autonomes, via notamment des contrats de transition qui inciteront mieux à la diversification et à l’adaptation des productions à ces nouvelles conditions climatiques.
– La diversité des espèces et variétés utilisées, ce qui nécessite une sélection variétale adaptée au déficit hydrique et non des OGM, qu’ils soient de 1re ou de 2e génération.
Dans le Plan France 2030 que vous citez, le Président a annoncé une révolution agricole qui s’appuiera sur le numérique, la robotique et la génétique. Pour la Confédération paysanne, l’innovation est dans la connaissance fine des écosystèmes, dans le développement des savoir-faire paysans et dans le lien sensible au vivant, non dans la dépendance aux logiciels et à l’intelligence artificielle. Nous avons besoin de bras et de cerveaux pour une révolution agricole paysanne, pas d’algorithmes ni de drones !
Dans la suite de votre discours, vous vous targuez de répondre « aux attentes du consommateur en faveur du bien- être animal », pourtant vos choix en matière de politique sanitaire concernant la grippe aviaire sont un coup bas porté au bien-être animal, avec des volailles confinées une grande partie de l’année. Cela va engendrer une baisse de la qualité des produits proposés à la population et constitue une tromperie massive des citoyens en vendant comme du « plein-air » des produits qui ne le seront plus.
En outre, cette nouvelle règlementation ne s’attaque pas à l’industrialisation de la filière volailles pourtant à l’origine de l’ampleur et de la propagation des crises sanitaires précédentes : transports incessants d’animaux vivants, uniformisation génétique et densité animale excessive. Les crises sanitaires doivent être gérées différemment : dans le but de préserver la santé animale et humaine et non pas dans celui de développer les exportations. Dans ce sens, la Confédération Paysanne a multiplié les propositions pour construire une réglementation efficace, sans jamais être écoutée.
Dans la suite de la conférence, vous dites « avancer avec méthode sur la réduction de l’usage des produits phytosanitaires ». Devons-nous vous rappeler qu’en 2020, les ventes de produits phytosanitaires ont augmenté de 23 % par rapport à 2019 ? De plus, vous continuez à soutenir le développement des Variétés Tolérantes aux Herbicides (VrTH). Or nous ne pensons pas qu’il est possible de sortir des pesticides avec des plantes qui encouragent leur utilisation.
A propos de ces nouveaux OGM, devons-nous vous rappeler que le gouvernement français refuse toujours d’exécuter les injonctions du Conseil d’État en date du 7 février 2020 ? En tant que représentant du peuple français, vous avez le devoir de mettre en place des politiques publiques favorables à l’intérêt général. En tant que ministre de l’Agriculture vous avez la responsabilité d’œuvrer à la mise en place de moyens pour que la réglementation européenne soit respectée. Nous exigeons ainsi que vous fassiez le nécessaire concernant l’évaluation de l’impact sur la santé et l’environnement des VrTH.
Dans la suite de votre discours, vous vous félicitez d’avoir mis en place une PAC « plus juste, plus sociale et plus verte ». De notre côté, nous déplorons fortement le peu d’ambition de cette nouvelle politique, particulièrement sur les enjeux sociaux et environnementaux. Le Plan Stratégique National (PSN) français reste désespérément dans la continuité de la précédente PAC. N’avez-vous rien appris de la crise sanitaire et des dépendances agricoles qu’elle a mises en lumière ? Monsieur le Ministre, vous avez manqué l’occasion :
– d’élargir le sujet de la PAC aux enjeux de l’alimentation et de la souveraineté afin de mieux la légitimer, alors même que les attentes sociétales en termes d’alimentation et d’agriculture ont évolué ;
– de mettre en place une réelle redistribution des aides PAC, afin qu’elles cessent d’être une cagnotte pour quelques-uns et un palliatif à l’absence de revenus pour les autres ;
– d’en faire un véritable outil pour impulser et accompagner la transition agroécologique.
Nous dénonçons notamment l’illusion de transition agroécologique que constitue la certification Haute Valeur Environnementale (HVE). Cette certification a été introduite comme critère d’attribution d’une partie des aides PAC, mais ne constitue absolument pas un outil de transition agricole, puisque grâce au mécanisme de points imaginé dans ce système, il est possible d’obtenir la certification HVE sans rien changer à ses pratiques, tout en continuant à utiliser une quantité importante de pesticides, des OGM, etc.
Lors de votre déplacement dans l’Aveyron le 24 septembre 2021, vous aviez cité Monsieur Edgard Pisani, ancien ministre de l’Agriculture « Si un jour le consommateur demande des pommes carrées et du lait rouge, on demandera à l’INRA de produire des pommes carrées et du lait rouge. ». Nous tenons à rappeler à votre bon souvenir que Monsieur Edgard Pisani, à la fin de sa vie, a aussi écrit le livre « Un vieil homme et la Terre » où il explique que l’agriculture productiviste qu’il a défendue, ne lui paraît aujourd’hui plus de mise.
C’est pour cette raison que nous vous offrons ce livre en espérant qu’il puisse guider vos réflexions « jusqu’au dernier quart d’heure » vers une politique ambitieuse qui réponde aux enjeux de transition agricole et alimentaire, de revenu paysan, de dynamique territoriale, de souveraineté alimentaire, de droits sociaux, de santé des populations et de l’environnement.
Nous restons ouverts et disponibles pour échanger avec vous, Monsieur le Ministre, et avec votre cabinet, sur les moyens à mettre en œuvre afin de faire avancer la cause paysanne et écologique.
Veuillez recevoir, Monsieur le Ministre, nos salutations militantes.
Pour les paysannes et paysans de la Confédération paysanne de l’Aveyron
Les membres du comité départemental et Sébastien Persec, porte-parole