« Le 27 janvier a été annoncée par voie de presse la fin de l’Estivada. C’est assurément un très mauvais coup porté à un festival unique en France, rendez-vous gratuit, festif et fédérateur depuis près de 30 ans.
Car contrairement à ce que dit Christian Teyssèdre, l’Estivada n’a jamais été « que pour certains ». Chaque année, ce sont des dizaines de milliers de festivaliers de toutes générations et de toutes origines venus de la France entière qui s’y retrouvent. Des concerts en soirée où se mêlent jeunes et moins jeunes, locuteurs et non-locuteurs de la langue occitane, militants ou pas, preuve d’une culture occitane bien vivante et généreuse.
Fidèle aux valeurs occitanes du paratge et de la convivéncia, l’Estivada a toujours fait la part belle aux rencontres, aux projets fédérateurs, dans une dimension d’ouverture à l’autre et d’interrégionaliste, comme en témoigne la venue d’artistes aussi divers qu’Idir, ambassadeur mondial de la musique et de la culture berbère, le breton Alan Stivell, les Toulousains de Zebda, le catalan Cali, Francis Cabrel et tant d’autres voix de la diversité linguistique et culturelle. Invité par Marc Censi en 2006, le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres disait que « la défense d’une langue, d’une tradition, d’un territoire n’est pas une nostalgie, mais participe au contraire à une préparation intelligente de l’avenir ».
Christian Teyssèdre répète à l’envi que « L’Estivada doit évoluer, car elle n’attirait plus [.] » Si la baisse de fréquentation est réelle, elle n’a commencé qu’à partir de 2016 lorsque la mairie a décidé de reprendre le festival en régie directe municipale bien qu’il n’eût de cesse depuis sa création de monter en puissance comme en témoignent la hausse continue de la fréquentation, les nombreux artistes de renom qu’il accueillit, ainsi que la venue de personnalités politiques de tout premier plan (Ségolène Royal, Jean-Pierre Bel…). La municipalité se targuait alors dans la presse d’avoir réussi le pari d’organiser en 8 mois un « festival d’une telle ampleur » (sic) se réjouissant d’avoir rendu le festival aux Ruthénois. Chacun appréciera le résultat sept ans plus tard. Malgré l’investissement sans faille d’élus (Sarah Vidal en particulier) et des bénévoles qui la portèrent à bout de bras, l’Estivada a vu sa programmation se réduire comme peau de chagrin en s’éloignant de la dimension interrégionale qui faisait sa force. De cinq jours le festival est passé à trois. On comprend mieux alors le désengagement de certaines collectivités face à une Estivada qui perdait son âme. À ce constat, il faut ajouter une communication indigne (les pires difficultés à se procurer un programme !) qui au mieux relevait de l’amateurisme, au pire d’un cynisme calculé.
Voilà pourquoi, pour M. Teyssèdre un « changement de cap » pour « s’offrir un festival de renom » s’impose. Si l’Estivada originelle coûtait trop cher, la mairie a bien l’intention de mettre le paquet dans le nouveau concept pour « bluffer les Ruthénois » avec un doublement du budget. Visiblement pour la majorité municipale, il existe une culture qui mérite des efforts et d’autres qui n’ont qu’à crever dans leur coin. Nous nous refusons à hiérarchiser et à opposer les expressions artistiques et culturelles. Il ne saurait y avoir, sinon au risque de flirter dangereusement avec des discours d’un autre âge, de culture supérieure qui serait moderne et ouverte sur le monde et de sous-cultures inférieures et rétrogrades. D’autre part, favoriser une vision verticale de l’art et de la culture en misant sur une offre artistique commerciale déjà omniprésente ne fera qu’ajouter un petit festival provincial à une longue liste déjà pleine. En quoi ces soirées seraient un moyen de « renforcer l’attractivité de la ville » ? Pourquoi un Marseillais ou un Toulousain se déplacerait jusqu’à Rodez pour voir ce qu’il a déjà chez lui ? Jusqu’à présent les festivaliers de l’Estivada venaient des quatre coins du tiers sud de la France et même au-delà d’Espagne et d’Italie. Nous doutons de la capacité à faire mieux en termes de renommée.
Christian Teyssèdre clame à qui veut l’entendre son attachement à l’occitan arguant d’un soutien aux associations locales et à l’enseignement. Une lecture attentive de la répartition des subventions octroyées par la mairie aux associations en 2022 laisse toutefois plus perplexe. Prenons l’exemple du Centre Culturel Occitan du Rouergue (CCOR). Au lieu des 10 000 € annoncés, ce dernier reçoit seulement 200 € de la municipalité qui, certes, reconnaissons-le, met à disposition les locaux contre un loyer modique. Quant aux 22 000 € alloués à la Calandreta ils ne correspondent en réalité qu’aux dépenses de fonctionnement normales dues à toute école privée sous contrat. Côté enseignement public, l’école bilingue Cambon-Monteil ne doit rien à la majorité municipale actuelle qui, au contraire, s’oppose à la création d’un deuxième site bilingue public dans la ville. Si M. Teyssèdre, qui dans sa jeunesse, tapait la bourrée à La Pastourelle, aime autant l’occitan qu’il le dit, il ne peut que soutenir ardemment sa transmission et sa sociabilisation à travers toutes les initiatives possibles.
Car tout le monde comprend le rôle essentiel qu’un tel événement joue dans la promotion, la valorisation et la sociabilisation des langues et des cultures minorisées. La suppression de l’Estivada est un très lourd préjudice pour tous les artistes, musiciens, chanteurs, auteurs, éditeurs, comédiens et opérateurs culturels occitans qui doivent se battre au quotidien pour exister.
L’Estivada est la fierté des Aveyronnais qui y retrouvent leurs racines. Le succès de ce festival à Rodez ne doit rien au hasard. Depuis très longtemps l’Aveyron et Rodez ont contribué grandement au renouveau de la lenga e de la cultura nòstras à travers la littérature (Jean Boudou notamment), mais aussi l’enseignement et le riche tissu associatif.
L’Estivada doit rester occitane et ruthénoise.
Nous invitons donc toutes celles et tous ceux attachés à la diversité culturelle incarnée par l’Estivada à faire signer et diffuser la pétition lancée par le Collectif « Gardarem l’Estivada ».
Le collectif Gardarem l’Estivada
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